Marie-Hélène Roy – Stage Mali 2007
Il n’y a aucun doute: une expérience Québec sans frontières change notre vie, notre perspective et notre compréhension du monde. Dans mon cas, mes expériences QSF ont façonné ce que je suis, renforcé mon implication pour la justice sociale et ma militance, mais surtout, elles m’ont permis de rencontrer des gens extraordinaires et de réaliser que les peuples de la planète sont interconnectés.
En mai 2007, je mettais le pied dans mon village d’accueil malien, Wolodo. Jamais je n’aurais pu penser que neuf ans plus tard, j’allais vivre des retrouvailles surprenantes, cette fois, à Montréal.
Au Mali, j’ai eu la chance d’accompagner un groupe de stagiaires QSF pour un projet en travail social. C’est avec émotion que je reçus, à mon arrivée à Wolodo, mon nom malien. Je devenais dorénavant Oumou Sangaré, le nom de la première belle-fille de mon papa malien, Dugutigi Kissima Traoré, chef de village. Durant mon expérience, tous les membres de ma nombreuse famille malienne ont joué un rôle précieux dans mon adaptation culturelle. En premier lieu, les enfants, dont ceux de mon homonyme Oumou, qui m’ont démontré dès le départ de belles marques d’affection. L’un d’eux, le fils aîné, s’appelait Siaka, Bachaka de son surnom. J’ai toujours eu le souvenir de Bachaka, grand sourire franc accroché au visage et les yeux pétillants quand il passait devant la porte de ma case (maison) avec un âne ou un boeuf et me saluait en m’appelant « maman » ! À 25 ans, il était plutôt impossible pour moi d’avoir un enfant de 13 ans, mais j’étais l’homonyme de Oumou Sangaré et donc j’héritais également, en plus de son nom, de tous ses enfants !
Quand j’ai quitté le Mali, comme plusieurs, j’ai pleuré à chaudes larmes. Je n’avais aucune idée si je reverrais ces visages qui m’avaient accueilli les bras ouverts, ces gens qui m’ont permis de les découvrir, et de me découvrir. Bien que mon cœur me promettait de revenir, ma tête me chuchotait que je ne reverrais probablement jamais ma famille malienne, à moins d’un miracle.
Neuf ans plus tard, avril 2016, sagement assise dans ma cuisine montréalaise et lisant mes courriels: le miracle. Zan Doumbia, de Kilabo, m’écrit que le petit fils aîné de Dugutigi Traoré, le fils de mon homonyme Oumou, est au Québec et qu’il veut me voir. Siaka Traoré… Bachaka … mon fils avec ses grands yeux rieurs? Au Québec! Est-ce que je rêve? J’étais tellement énervée. En une seconde, le Mali a débarqué dans ma cuisine : tous les souvenirs, les gens que j’ai connus, ma famille, mon homonyme, ma sœur Adama, mon frère Moussa, Tanti Koro, Dugutigi, les enfants, mon fils Bachaka, le village, les baobabs, les soirées à prendre le thé sur une natte, les étoiles filantes, même les ânes, les coqs et les bœufs y étaient ! Je suis devenue tellement émue.
Rapidement, après contact avec Étienne du CSI, Bachaka et son collègue malien Karim me rendaient visite pour quelques jours à Montréal. Malgré que j’aie l’habitude de recevoir des stagiaires réciprocité QSF dans le cadre de mon travail, je n’avais pas réalisé à quel point recevoir un membre de notre famille adoptive QSF pouvait être confrontant. Parallèlement à la hâte des retrouvailles s’installe un petit doute : vont-ils se sentir bien chez moi? Qu’est-ce qu’on pourra bien faire qui leur fasse plaisir ? Est-ce que mon appartement a l’air trop « riche » ? Une jeune femme qui habite seule un 4 et demi, qui a une auto… les contrastes de nos modes de vie me frappent en plein visage. Que pensera ma famille malienne de connaître ma réalité ? Recevoir des stagiaires d’un pays du Sud nous fait réaliser le privilège que nous avons de bien vivre et renforce par le fait même notre motivation et nos engagements à changer nos habitudes de vie pour vivre plus simplement et participer à rétablir un équilibre.
Malgré mes nombreux questionnements, les retrouvailles avec Bachaka et l’accueil de Karim se sont très bien passés. Je me demandais si j’allais reconnaître mon fils… il avait effectivement pas mal grandi depuis la dernière fois. Le moment de gêne a duré quelques heures, à se regarder, sourire, rire, se regarder encore, sourire, et répéter : je n’y crois pas, c’est incroyable ! Et comment va la famille ?
À la question « qu’est-ce qu’on pourra bien faire ? », j’ai demandé la deuxième journée à mes deux invités s’ils avaient des idées. Semblant un peu gênés d’être questionnés, à se parler en bambara, paraissant argumenter entre eux à travers plusieurs silences réflexifs, et moi patiente, qui ne comprends rien à leur discussion. Ils ont finalement demandé avec un petit peu de timidité si c’était possible de voir le stade de Didier Drogba. Quelle sortie extraordinaire nous avons eue que de monter dans la tour du stade olympique pour avoir la vue sur le stade de l’Impact ! Je me souviendrai toute ma vie de leurs grands yeux ébahis dans le téléphérique et de leurs réactions quand ils ont découvert le stade de si haut. « He ? heeeeeeee!». Décidément, cette sortie pleine de joie a renforcé subtilement nos liens. Sur le chemin du retour, Bachaka me partageait qu’ils avaient envie de manger du riz gras et qu’ils voulaient cuisiner à la malienne. Quel plaisir ! C’était à mes yeux une belle marque de confiance qu’ils aient osé demander. Je crois que leur moral avait besoin de riz gras, ils ont mangé deux assiettes énormes ! On le sait, quand on est à l’étranger, la bouffe, c’est sentimental.
Comme je l’ai mentionné à Bachaka en les raccompagnant à l’aéroport à la toute fin de leur stage, ces retrouvailles inattendues représentent pour moi l’un des mystères de la vie, un réel cadeau, qui m’a permis de réaliser qu’au-delà du temps et de l’éloignement, les relations tissées lors d’une expérience QSF sont durables et significatives.
Merci à Bachaka et Karim pour leur visite et merci du fond du cœur à ma famille malienne pour leur accueil chaleureux.
Inch’ Achallah, nous nous reverrons.