Chloé Couture Mathurin – Stage Haiti 2016

10 novembre 2016
par Chloé Couture Mathurin

Étant une amoureuse de randonnées, le petit sentier dans la montagne près de notre maison a attiré mon attention dès notre arrivée. La vue qu’elle nous offrait m’ayant charmée dès la première montée, j’ai rapidement intégré celle-ci à mon quotidien. J’étais toutefois loin de me douter de toutes les émotions qui m’attendaient sur cette fameuse petite montagne.

J’étais loin de me douter de toutes les émotions qui m’attendaient sur cette fameuse petite montagne.

Tout d’abord, je fus émerveillée devant ce paysage enchanteur. Les cactus bordant le petit chemin et les quelques manguiers dont les fruits jonchent le sol nous transportent bien loin des sentiers québécois. Les chèvres, cochons et chevaux que nous croisons sur notre chemin détournent mon attention de la vue splendide qui s’offre pourtant à moi. C’est une fois rendue au sommet que je remarquai réellement la beauté des montagnes à perte de vue, survolées par les oiseaux de proie qui planent dans le ciel. C’est inévitable, un moment de silence s’impose devant cette scène.

Ensuite, j’ai porté davantage attention aux gens que l’on croisait, et là embarque l’admiration devant leurs durs labeurs. Au pied de la montagne s’écoule un petit cours d’eau, que nous devons enjamber, où quelques femmes travaillent quotidiennement. Certaines ramassent du sable, le transportant sur leur tête pour le vendre, alors que d’autres font la lessive. Leur lourde tâche ne les empêche pourtant pas de nous lancer leurs plus beaux sourires en nous saluant. Plus loin, sur les abrupts versants, se trouvent des champs dans lesquels nous voyons des hommes travailler, à condition d’y aller suffisamment tôt, alors que le soleil n’est pas encore trop fort. D’ailleurs, nous faisons inévitablement face à l’incompréhension de ces gens lorsqu’ils nous voient faire cette montée en plein soleil, sans autre but que par plaisir. Impossible de ne pas être touchée à la vue des jeunes enfants à demi vêtus s’amusant avec leurs petits cerfs-volants faits maison.

Les premières fois, ce sont des moments remplis de joie. L’occasion parfaite pour tisser des liens entre stagiaires, ainsi qu’avec quelques locaux qui nous suivent par curiosité. Les discussions au sommet sont légères et les rires sont contagieux. Plus le voyage avance, plus ces liens se resserrent, et plus les conversations deviennent profondes et personnelles. On s’ouvre tranquillement à l’autre, dévoilant nos passés et libérant nos sentiments refoulés. La confiance qui teinte ces dialogues démontre la sincère amitié qui s’est développée entre nous. Je me sens alors tellement chanceuse d’avoir ces personnes à mes côté dans cette aventure, et privilégiée qu’elles m’apprécient autant. Les angoisses, les déceptions et les frustrations par rapport au voyage sont aussi partagées. Tout d’un coup, je me sens moins seule, je me sens comprise. Ce n’est maintenant plus de la faiblesse que de trouver certains jours plus difficile, c’est tout simplement normal. Le cœur plus léger, je redescends plus motivée que jamais à affronter les défis qui nous attendent en bas. Après tout, on est tout de même huit belles sardines entassées dans notre petite maison haïtienne, à tout partager, maladies et insomnies comprises. Rien à voir avec notre confort québécois! Les coquerelles, les souris, les chats et les poules qui s’invitent dans nos chambres nous le rappellent très bien les jours où l’on pourrait commencer à s’habituer. La différence culturelle n’est pas toujours facile à vivre et ce petit moment d’intimité à l’écart des yeux curieux qui jugent nos moindres faits et gestes devient apaisant et réconfortant. L’endroit est idéal pour prendre un peu de recul. Les plus belles discussions de l’été, celles me portant le plus à d’enrichissantes réflexions, ont d’ailleurs été échangées paisiblement sous l’arbre au sommet. Mes amis me font prendre conscience du chemin que j’ai parcouru, des progrès réalisés. Je me sens ainsi valorisée et mon estime de moi remonte en flèche. Je comprends alors que le groupe me soutient et qu’il croit en mes capacités.

Plus le voyage avance, plus ces liens se resserrent, et plus les conversations deviennent profondes et personnelles.

La vue du village dans son ensemble porte aussi à réfléchir. Aucune autre trace de civilisation dans les environs. On ne peut voir que les montagnes de notre point de vue. Pendant un instant, je me sens exclue du monde entier. Puis, je pense au peu d’opportunité que Mombin Crochu a à offrir à ses habitants, ainsi qu’à la complexité de partir ailleurs. L’accessibilité à tout bien matériel est extrêmement réduite. Inévitablement, j’en viens à me sentir coupable d’avoir autant de moyens et de ressources pour faire tout ce dont je pourrais rêver au Québec, mais de ne pas l’atteindre par manque de motivation ou de confiance. Coupable de trouver le moyen de me plaindre de toutes ces choses tellement insignifiantes. Coupable de toujours en vouloir davantage. Coupable de ne pas me rendre compte de la chance que j’ai d’être née dans notre magnifique pays. D’ailleurs, nous avons eu la chance de voir des gens prier sur le sommet. Nous pouvions ressentir leur désespoir et leurs souffrances à travers leurs chants et leurs cris cacophoniques. La culpabilité fait alors place à l’impuissance. J’aimerais tant pouvoir faire quelque chose pour les sortir de leur misère, mais qu’est-ce qu’une jeune étudiante sans revenu comme moi peut bien changer?

Arrivent des émotions complètement différentes lorsqu’un soir, vers minuit, les quelques verres de Barbancourt que nous avions bus nous donnent la brillante idée de s’aventurer sur la montagne. Prenant la proposition pour une plaisanterie, la majorité du groupe alla bientôt dormir. Avaient-ils vraiment compris notre intention? Allaient-ils s’inquiéter et nous chercher? Qu’en penserait l’accompagnatrice si elle l’apprenait?

Ayant trop d’énergie pour aller se coucher et prêts à en assumer les conséquences, nous partons donc deux courageux dans cette expédition nocturne, lampe de poche à la main. L’excitation du début s’est vite changée en panique lorsque je vis une tarentule à deux pas devant moi sur le sol. Notre surprise fut encore plus grande lorsque celle-ci s’enfuit à grande vitesse dans le ruisseau en nageant avec aisance! Bien que la crainte d’en croiser une autre me tracassait un peu, je fus prise d’un fou rire incontrôlable quelques instants plus tard, ce qui me ramena au moment présent: mon compagnon venait de se cogner la tête contre un cactus! Mais le moment de tranquillité qui nous attendait au sommet en valait définitivement la peine. Étendue sur le sol à regarder le ciel étoilé, à parler de tout et de rien aux sons lointains des chiens et des coqs, j’étais bien. Tout simplement bien. Je savourais le moment présent, ainsi que l’air un peu trop frais qui me donnait des frissons, sensation que je n’avais pas sentie depuis mon arrivée dans le pays. Les heures passèrent comme des minutes, parsemées de quelques silences qui trahissaient de brefs moments de somnolence. Soudainement, mon complice me fit remarquer l’épais brouillard qui était descendu sur nous, annonçant le levé du jour qui approchait. Voulant profiter de ce spectacle, nous avons donc attendu que le soleil apparaisse avant de rentrer dormir, avec, pour ma part, un de mes plus beaux souvenir de ce séjour en Haïti.

Et puis, un jour, arriva la dernière montée. Je marchais le plus lentement possible dans l’espoir que ce moment s’éternise. Un des Haïtiens qui nous accompagnait avait une radio à la main, jouant les airs que nous entendions en boucle depuis plus de deux mois. Ceux-là même qui usaient ma patience quelques semaines plus tôt étaient dorénavant synonymes de nostalgie. Les souvenirs plein la tête et le cœur gros, je venais de prendre conscience de tout ce qu’une petite montagne avait pu me faire vivre.