Au paradis des piscines…

15 juin 2020
par Camille Sénégas

Au Pérou, plus de 9 citoyens sur 10 admettent ne pas avoir confiance en leur gouvernement et perçoivent la corruption comme un problème majeur. Aperçu des contrastes entre richesse et réalité.

Quillabamba, capitale de la province de La Convención, dans la région de Cusco, au Pérou. À 63 kilomètres au nord du Machu Picchu, entre la Sierra et la Selva péruvienne, Quillabamba n’est pas une destination sur la carte des touristes étrangers. Et pourtant, il s’agit de la plus grande ville d’une des provinces les plus riches au pays. Elle reçoit des centaines de millions de soles chaque année grâce à ses riches réserves de gaz naturel dans le district de Megantoni, situé dans le nord de la province.

Sûrement, se dit-on, c’est un paradis sur terre, où pauvreté et malnutrition sont des légendes du passé. Si on prendre en compte le nombre de piscines et de communautés où les stades sportifs possèdent plus de places assises que d’habitants, alors oui, La Convención est un paradis. Mais, si on y compte le nombre d’enfants souffrant d’anémie chronique ou de communautés qui n’ont pas accès à des services de traitement des eaux, le portrait change.

On se demande comment une province aussi riche se retrouve incapable d’offrir des services de base à sa population. Quillabamba est certes un paradis de piscines pour les touristes péruviens qui viennent profiter du climat chaud, mais il s’agit également d’une localité où bon nombre d’hommes politiques sont poursuivis pour corruption. 

Une région riche en ressources

Echarate, un des 14 districts de la province de La Convención, remporterait certainement la palme d’or de la gestion inefficace de ses ressources. Jusqu’en 2016, le gaz naturel était une richesse abondante dans ce district, ce qui en faisait l’un des plus riches au Pérou. Les revenus générés par l’exploitation des réserves de gaz naturel, appelés le canon, sont majoritairement séparés entre la province et le district producteur. Cependant, des 7524 millions de soles (2,9 G$) reçus entre 2004 et 2014 par La Convención et Echarate, la population des communautés affectées par l’exploitation du gaz n’en voyait pas grand-chose. En effet, les maires et plusieurs fonctionnaires des trois dernières administrations ont été reconnus coupables d’une mauvaise utilisation des fonds.

En 2016, pour tenter de remédier à cette situation, on scinde le district d’Echarate en deux, donnant naissance à un nouveau district : Megantoni. C’est ce dernier qui gèrera dorénavant l’exploitation des réserves de gaz naturel et donc qui recevra la majeure partie du canon. La population de cette localité strictement accessible par voie maritime est en forte majorité d’origines autochtones. 

Ce changement donnait espoir d’enfin améliorer les conditions de vie de la population locale. Avant la création de ce nouveau district, près de 45% des enfants de moins de 3 ans souffraient d’anémie et 46% des moins de 5 ans, de malnutrition chronique.

Echarate n’est pas l’unique exemple d’utilisation douteuse des ressources. Dans la province de La Convención, la population carcérale compte dans ses rangs des administrateurs d’au moins trois autres districts, tous incarcérés pour des crimes similaires.

Des problèmes de corruption

À l’échelle nationale, le portrait n’est pas plus réjouissant. D’anciens présidents se retrouvent également en prison. Les accusations portées contre eux sont liées à une compagnie de construction brésilienne très controversée, Odebrecht. Le scandale qui perdure depuis près de six ans touche plusieurs partis politiques et bon nombre de congressistes, si bien que la chef du parti de l’opposition officielle, Keiko Fujimori, se trouve elle-même en prison, en attendant la conclusion d’une enquête. Pas étonnant que les Péruviens soient très peu convaincus de l’honnêteté de leurs représentants.

Selon Transparency International, en 2019, 80% des Péruviens considèrent que la majorité, voire tous les congressistes sont corrompus. En Amérique latine, ils sont ceux qui perçoivent le plus la corruption comme un problème majeur. 

AVENIR INCERTAIN

C’est dans ces conditions que le président Martin Vizcarra a pris la décision de dissoudre le congrès du Pérou. Une résolution qui met un terme à des mois de lutte entre les pouvoirs exécutifs et législatifs, alors incapables de faire approuver des réformes destinées à améliorer la supervision des membres du congrès. Des milliers de Péruviens sont d’ailleurs sortis dans les rues, en soutien au président, pour exiger un changement. Ils scandaient le slogan « ¡Que se vayan todos! » (Qu’ils s’en aillent tous!). À la suite de la dissolution du congrès, les Péruviens ont eu la chance d’exercer leur droit de vote à l’occasion d’élections, qui se sont tenues le 26 janvier dernier. L’avenir semble plus qu’incertain pour la démocratie péruvienne.

Camille Sénégas, stagiaire du Carrefour de solidarité internationale


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Références

Calderón Masias, C. (2018). “La gestión del gasto público en la municipalidad distrital de Echarati durante el periodo 2011-2014”. URL: http://hdl.handle.net/20.500.12404/13105

Municipalidad Distrital de Echarate. (2017). “Plan local de igualdad de género de la municipalidad distrital de Echarate”, URL: http://aynidesarrollo.org.pe/portfolio_page/plan-local-de-igualdad-de-genero-de-echarate/, P.26

Municipalidad Distrital de Megantoni (2017). “Plan de Desarrollo Local Concertado, Megantoni al 2030”. URL: http://www.munimegantoni.gob.pe/media/4232/pdlc-al-2030.pdf, p.30

Transparency International. (2019). « CITIZENS’ VIEWS AND EXPERIENCES OF CORRUPTION ». URL :  https://www.transparency.org/files/content/pages/2019_GCB_LatinAmerica_Caribbean_Full_Report.pdf