Résister aux tempêtes

27 novembre 2019
par Laurence St-Pierre

La collaboration entre le Carrefour de solidarité internationale de Sherbrooke et l’organisme péruvien Ayni Desarrollo ne date pas d’hier : cela fait plus de vingt ans que les deux organismes ont décidé de joindre leurs forces et de travailler solidairement sur des problématiques sociales, mondiales et majeures, dont celles des violences basées sur le genre. Depuis, chaque année, plusieurs Canadiens et Canadiennes sont envoyés au Pérou dans différentes communautés afin de travailler en partenariat avec la population et les organismes locaux. Les membres de ma cohorte de stagiaires envoyée à Comas, un district de Lima, ont toutes et tous des mandats de travail en rapport, de près ou de loin, à l’amélioration des conditions de vie des femmes et la promotion de leurs droits.

Une grande partie de mon mandat consiste à participer à l’actualisation du Plan local d’égalité des genres du district du Comas (PLIG). En bref, la municipalité de Comas avait déjà un plan pour 2012-2017 et il faut maintenant de le mettre à jour en tenant compte des données récentes. À mon arrivée, l’organisme partenaire avait besoin d’aide pour la réalisation d’un diagnostic des sept différentes lignes stratégiques du plan, par exemple :

  • Réduire les écarts d’éducation entre les hommes et les femmes
  • Réduire la violence sexiste dans ses différentes expressions ainsi que les discriminations multiples
  • Augmenter la participation des femmes à la prise de décision et à la participation politique et citoyenne, etc.).

En d’autres mots, je devais recueillir et analyser des données et des statistiques afin d’obtenir un portrait complet, global et à jour en ce qui concerne l’égalité des genres au Pérou, mais principalement à Comas. Plus j’avançais dans mes lectures et ma rédaction, plus le portrait que je dressais était alarmant et consternant. Je ne pouvais pas croire qu’en 2019, le combat pour l’égalité était non seulement loin d’être gagné, mais même pas près d’être une victoire envisageable.

Au Pérou, être une femme est synonyme d’inégalité et de vulnérabilité. En effet, les féminicides ne cessent d’augmenter ces dernières années. L’année 2018 est celle ayant enregistré le plus de cas, soit 149 cas. Depuis 2010, 1152 féminicides ont été enregistrés. Il est également important de noter que ses chiffres ne prennent pas en compte toutes les tentatives effectuées. Selon les données de 2016, le Pérou était classé au troisième rang mondial pour les féminicides, mais également pour les violences sexuelles. 60 % des cas de violences sexuelles concernent des filles et des adolescentes âgées entre 10 à 17 ans. En conséquence, en 2017, 4 adolescentes sur 10 ont dû abandonner l’école en raison d’une grossesse. De plus, c’est 60 % des femmes péruviennes qui ont été agressées physiquement et/ou sexuellement par leur partenaire ou ex-partenaire au cours de leur vie. Déjà que ces statistiques sont extrêmement élevées, il est primordial de prendre en considération qu’il s’agit seulement des cas qui ont été dénoncés et répertoriés. Réaliser que tous ces chiffres représentent la réalité quotidienne de millions de femmes péruviennes est sidérant.

Je ne pouvais pas croire qu’en 2019, le combat pour l’égalité était non seulement loin d’être gagné, mais même pas près d’être une victoire envisageable.

Bien évidemment, avant de partir pour notre stage, on nous avait informées, préparées, sensibilisées à la réalité qui nous attendait, soit une société machiste et inégalitaire. Et pourtant, je n’en étais pas réellement 100 % consciente. Ça semblait loin, vraiment triste, mais peu réel. Cependant, d’être ici à lire les statistiques, noir sur blanc, les deux pieds dans cette réalité, mais surtout de les vivre au quotidien en parallèle, a changé ma façon de voir les choses. La distance n’était plus la même. Je n’étais plus une Canadienne à 8000 km, j’étais une femme vivant au Pérou, dans une famille péruvienne, côtoyant les femmes de la communauté alors qu’aux nouvelles nationales des histoires horribles de violence envers les femmes sont chose courante. Mon mandat en lutte pour l’égalité des genres au Pérou s’est avéré être un combat personnel.

En tant que femme, mais surtout en tant que féministe, je me sentais concernée.

Avoir la chance d’appuyer l’organisation d’activités dans le cadre de la journée internationale des droits des femmes prenait un tout autre sens. En tant que femme, mais surtout en tant que féministe, je me sentais concernée. Ma participation à la marche de Lima représentait une opportunité de prendre part au combat, mais aussi de voir comment cette journée, au Pérou, s’inscrit dans la lutte aux inégalités.

Je me sentais privilégiée de pouvoir vivre l’expérience d’une marche pour la Journée internationale de la Femme dans un autre pays, mais surtout de la vivre avec d’autres femmes en tant que membre de leur communauté. Arrivée sur les lieux, la solidarité était palpable, l’atmosphère électrisante. Le message était clair et sans équivoque : rien ne peut nous arrêter, nous n’allons jamais cesser de nous battre pour nos droits. J’en avais des frissons et les larmes aux yeux. Je n’avais jamais ressenti une telle fierté de participer à un évènement, mais surtout vécu une telle ambiance. J’assistais à bien plus qu’une simple marche. J’assistais à une dénonciation; à un combat; à une prise de pouvoir.

Nous étions des milliers à nous être déplacées cette journée-là pour une cause tellement plus grande que nous. Personne ne se connaissait, mais pourtant un courant de sororité nous unissait. Nous étions là pour la même chose, avec un but commun. Notre désir de changer les choses et d’atteindre un monde meilleur pour les femmes dépassait nos différences.

C’est 20 000 personnes qui ont souligné l’importance de cette journée afin que les femmes puissent faire entendre leurs voix et leurs revendications.

C’est 20 000 personnes qui se sont déplacées et qui se sont associées à un mouvement de solidarité mondiale.

C’est 20 000 personnes qui ont profité de cette occasion pour reconnaître la force et le travail acharné, et majoritairement bénévole, qu’une multitude de femmes péruviennes font chaque jour pour lutter contre les inégalités dans leur pays. Un travail bien souvent fait dans l’ombre et avec très peu de reconnaissance.

Malheureusement, cette journée était aussi le moment de mettre en lumière le portrait de la situation actuelle tout sauf rassurant pour les femmes péruviennes. Le moment de mettre l’accent sur tout ce qui reste à faire pour changer les choses. Cependant, les femmes réussissaient à faire passer leur message tout en misant sur leur détermination et leur solidarité. En travaillant ensemble, la lutte ne serait pas vaine. Il va toujours y avoir de l’espoir, et c’est exactement ce que j’avais envie de retenir de cette journée.

Je veux me rappeler du positif. Je veux garder en tête que malgré la situation qui ne fait qu’empirer, les Péruviennes n’ont pas fini de se battre. Je veux souligner leurs victoires et non leurs défaites. Je veux insister sur leur résilience et non leurs difficultés.

Les femmes péruviennes qui continuent de se mobiliser pour l’égalité et que j’ai eu la chance de rencontrer sont pour moi comme des magnifiques plantes vivaces indestructibles. Elles sont fortes, droites et fières, malgré tous les préjudices qu’elles subissent. Elles survivent toujours. Et, peu importe les intempéries, elles finissent toujours par fleurir.

Laurence St-Pierre

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