Jean-François Ouellet – Stage Mali 2015
Un voyage de solidarité au Mali, ça n’a pas de bon sens! disaient mes proches en octobre 2014. Les nouvelles sur l’Ébola et sur le conflit au nord du Mali frappaient toujours l’imaginaire des Québécois et Québécoises à ce moment-là. Pour ma part, j’étais un peu anxieux, entre la recherche d’un emploi et la promesse d’un mandat dans un contexte interculturel.
Plus les jours avançaient plus je me faisais à l’idée d’aller au Mali. Je m’informais donc sur la culture malienne, des impacts des changements climatiques sur le pays et sur les projets d’adaptation en milieux agricoles. Également, j’apprenais les notions de base de bambara.
Le 31 janvier 2015, nous étions un beau groupe rempli d’étudiants de divers domaines et de jeunes engagés dans la justice environnementale. C’était un mélange d’excitation, d’appréhension et de fatigue qui attendait le groupe au décollage de Montréal vers Bamako.
Un aspect culturel très fort du Mali est le thé vert de Chine. La majorité des Maliens et Maliennes est fan de ce produit importé; ils consomment cette infusion trois fois par jour. À ce titre, un dicton malien explore le goût de ces trois services de thé : « Le premier service de thé est amer comme la mort, le second est doux comme la vie et le troisième est sucré comme l’amour. » Sous la forme de ces trois services, je vous présente un défi, un doux évènement et mon coup de cœur de mon stage Solidaires vers de saines pratiques environnementales.
Le premier service, amer comme la mort
Le premier service est amer comme la mort. Le Mali m’a posé plusieurs défis. La perte d’identité québécoise, l’approche de vente au marché et les péripéties improvisées sur la route ont été des exemples enrichissants de mon voyage.
L’arrivée au village était un passage dans une nouvelle dimension. Les coutumes des villageois étaient très différentes des nôtres. Les anciens du village disposaient d’une autorité sur l’ensemble de la population. Les tâches des femmes et des hommes étaient très différentes : les hommes s’occupaient de la représentation politique, des travaux dans les champs et de la fabrication des outils agricoles, les femmes travaillaient sur les tâches ménagères, la récolte du bois et la préparation des repas. Même l’éducation des enfants se faisait en ségrégation des sexes. Les enfants représentaient un bien commun du village pouvant aider dans les tâches domestiques des familles.
L’arrivée au village était un passage dans une nouvelle dimension.
Les traditions du village étaient remarquables. D’abord, les salutations étaient longues et très cordiales. La longueur des salutations et des bénédictions soulignait l’importance accordée à la personne. Puis, le jour était divisé par cinq périodes de prière. Les villageois n’étaient pas pressés. Ils faisaient leur travail jusqu’à la fin de la journée. Bien souvent, le tout se finissait par un service de thé. Enfin, malgré la difficulté de l’agriculture de subsistance, les Maliens partageaient un humble sourire à tous.
Je vivais plusieurs chocs culturels. L’avenir des enfants me préoccupait. Ces derniers recevaient une éducation traditionnelle pour reprendre le flambeau du village. Je ne voyais pas d’égalité des chances dans ce type d’éducation. Les chocs culturels se sont toutefois atténués avec le temps.
Par contre, il m’a été difficile de comprendre les dynamiques de groupe et de m’y intégrer aisément. Notamment, j’ai trouvé que le consensus était un processus décisionnel complexe.
Le service amer comme la mort était un moment de réflexion: j’ai beaucoup réfléchi sur cette expérience et intégré ces apprentissages au Québec. L’apprentissage le plus important est d’avoir confiance en mes idées. La confrontation des idées dans un processus consensuel permet de faire progresser la pensée du groupe et de trouver des solutions intéressantes à une problématique.
Le deuxième service, doux comme la vie
Le deuxième service est doux comme la vie. Le contact avec des habitants était ma vie quotidienne au Mali. C’était une accueillante brise chaude en plein milieu de la brousse.
À notre arrivée, nous avions eu droit à une délégation de tout le village pour nous saluer. Après plusieurs discours, les stagiaires étaient invités à aller voir leurs familles d’accueil. Chaque stagiaire avait une maison pour se loger. Ces maisons étaient faites de murs de terre, d’une bonne structure de bois pour supporter le toit et de tiges séchées pour faire de l’ombre sous les rayons abondants du soleil.
Plus le stage avançait, plus je passais de temps avec les enfants. J’étais surnommé le N’fa Sacko des enfants par un villageois. Ce surnom faisait référence à mes jeux avec les petits: un mélange de tag, de danses, de chants, de football, de jeux de camp de jour et de frisbee qui amusait les petits. Le groupe de stagiaires et moi avions même inventé une chanson en bambara pour valoriser les services écologiques de l’arbre aux enfants.
Plus le stage avançait, plus je passais de temps avec les enfants. J’étais surnommé le N’fa Sacko des enfants par un villageois.
Le contact avec les jeunes m’a permis de retrouver mon cœur d’enfant et d’apprendre à décrocher du mandat de stage. Les jeunes m’apprenaient à vivre le moment présent et à faire de mon mieux pour vivre en famille. J’ai reconnu en eux des valeurs que je partage : le sens du travail, l’importance de l’accueil, le positivisme et le respect pour les plus âgés.
La vie d’un jeune malien est assez difficile. Les activités du dimanche avec ma famille d’accueil m’ont permis de comprendre les tâches quotidiennes des jeunes. Les jeunes filles aident leurs mères dans les tâches ménagères. Dès 5h du matin, les femmes vont écraser le millet avec un pilon de bois pour préparer du To. Toutefois, je me tenais principalement avec les garçons à cause de la discrimination des genres.
Cette rencontre interculturelle permet de confronter plusieurs manières d’éduquer les enfants. D’un côté, les familles maliennes ont tendance à laisser leurs enfants vivre entre eux et à leur faire endosser des responsabilités ménagères dès le plus jeune âge. Ils peuvent également se réunir pour aller jouer au football ou pour discuter de tout et de rien. C’est un peu comme les adultes qui s’assemblent pour prendre le thé.
Dans mon quotidien, je souhaite continuer à savourer les doux moments de la vie comme le deuxième service de thé.
Le troisième service, sucré comme l’amour
Le troisième service est sucré comme l’amour. J’ai appris différentes formes de solidarité dans mon voyage. J’aimerais conclure ce rapport sur l’importance d’être solidaire.
Mon voyage m’a permis de me conscientiser sur les enjeux des changements climatiques dans une perspective Nord-Sud. Nous sommes un pays qui émet une quantité phénoménale de gaz à effets de serre. Les effets de ces émissions sont ressentis par les pays ayant peu de moyens de s’adapter. Le village malien du stage éprouvait les effets des changements climatiques sous la forme de la réduction de la période des pluies. Cette modification du climat apportait des problèmes concernant la qualité des semences et la sécurité d’approvisionnement alimentaire pour les habitants. Malgré nos stratégies sur les foyers améliorés, la mise en œuvre d’une pépinière et la réalisation de fosses à compostage, ces adaptations ne sont pas suffisantes pour assurer une plus grande qualité de vie au village. J’insisterai sur l’importance des pays émetteurs de gaz à effets de serre de se mobiliser pour une décarbonisation de leur économie.
Le stage de solidarité permet de s’ouvrir au monde et de demeurer vigilant sur les enjeux planétaires.
Mes coups de cœur resteront le contact avec les jeunes ainsi que la solidarité du peuple malien. J’ai construit des relations très humaines auprès de ma famille d’accueil. Nous ne pouvions pas communiquer efficacement à cause des barrières linguistiques et des différents codes d’interprétation culturelle. Toutefois, je me suis beaucoup attaché au village de Kégnémarka. Je souhaite donc me souvenir de ce sucre et reconnaître la nécessité d’une meilleure solidarité dans notre société occidentale.
Le stage de solidarité permet de s’ouvrir au monde et de demeurer vigilant sur les enjeux planétaires. Le tout rend les participants plus humains par rapport à d’autres contextes culturels. C’est avec une confiance mutuelle qu’on arrive à mieux se comprendre et à mieux résoudre les problématiques environnementales. Je soutiens vivement le Carrefour de solidarité internationale de Sherbrooke et l’association malienne Kilabo dans leurs initiatives d’adaptation aux changements climatiques au Mali.