Dialogue Expo-photo sur la parentalité à travers le monde

« Place tes mains sur ton ventre »

La jeune femme de la communauté autochtone Matchiguenga était confuse… « Montre-moi ton ventre », insistai-je en souriant. Elle hésita, puis éclata de rire. Pour quelle raison pouvais-je bien lui demander quelque chose comme ça?

Je me remémorais ce moment alors que je photographiais, plusieurs mois plus tard, une femme enceinte au Canada qui, contrairement à la femme matchiguenga, touchait constamment son ventre et y plaçait instinctivement les mains dès que mon objectif pointait vers elle.

«Dialogue» est un projet qui essaie humblement de lier trois cultures divisées par les kilomètres, mais néanmoins unies par l’expérience de la maternité. Cette expérience est vécue très différemment dans chaque culture, mais l’amour, la vulnérabilité et la joie liés à l’expérience maternelle y sont ressentis de la même manière.

Ce projet revêt une importance particulière pour moi, puisqu’il s’est réalisé parralèllement à mes deux grossesses, dont seulement une a mené à une naissance. En commencant, je ne connaissais rien à la maternité. En le terminant, j’étais moi-même maman: j’ai achevé le projet la semaine exacte de la naissance de ma fille. Quelques minutes après l’accouchement, j’ai réalisé que ma sage-femme avait pratiqué au Mali, que j’écoutais de la musique péruvienne lors du travail et que j’avais donné naissance dans mon nouveau pays: le Canada.

Avec « Dialogue », je souhaite célébrer les ressemblances (mais aussi les différences) entre les peuples, la résilience, la diversité culturelle et le pouvoir des femmes. J’espère également qu’il permettra d’améliorer notre compréhension des savoirs traditionnels et de leur importance.

Nous sommes toutes et tous une histoire de naissance (réussie) ou, d’un autre point de vue, plusieurs histoires de naissance!


Valeria Valencia Valle est une voyageuse et une photographe professionnelle. Son travail se concentre principalement sur l’amour et les connexions humaines. Son aptitude à voyager léger l’a transportée à travers 40 pays différents. Alors qu’elle n’avait que 12 ans, Valle a fait son premier voyage en solo au Guatemala, à 18 ans, elle quitte la Colombie, sa terre natale, pour traverser les Amériques du Canada à l’Argentine, visiter l’Asie et l’Europe. L’an dernier, alors qu’elle était enceinte, elle a atteint le camp de base de l’Everest. Valle alterne entre la photographie lifestyle, de mariage et documentaire.

Au Pérou, elle a photographié les artisans du textile de Paucara, des potiers de Chulucanas, la migration de la tribu Shipibo et a réalisé deux installations sur la vulnérabilité et le manque. Son premier projet publié traitait du contenu des sacs à dos des voyageurs rencontrés alors qu’elle faisait du «couch surfing» au Pérou.

Elle souhaite poursuivre le projet «Dialogue» auprès d’autres communautés et s’est récemment rendue au Nunavik à ce sujet. Ses photos sont publiées dans Bash Magazine, Bex Fotografía et dans les pages d’Instagram magazine. Elle habite Montréal avec son conjoint et leur fille et espère continuer à voyager, documenter et développer son art.


Un projet qui voyage

Le Carrefour de solidarité internationale a commandé cette exposition à Valeria Valencia Valle dans le cadre de son projet majeur en santé des mères, des nouveau-nés et des enfants réalisé au Pérou et au Mali grâce à l’appui financier accordé par l’entremise d’Affaires Mondiales Canada.

L’idée à la base du projet « Dialogue » est de rejoindre et de sensibiliser la population canadienne différemment et en faisant appel à des sentiments universels par le biais de l’art. L’exposition, imprimée sur du tissus et donc facilement transportable, sera affichée présentée au Pérou et au Mali au sein même des communautés photographiées.

Le Carrefour de solidarité internationale tient également à remercier et souligner l’excellent travail de Fatoumata Tioye Coulibaly, qui a travaillé avec Valeria Valencia Valle pour les photos au Mali. Merci également à toutes les femmes et les hommes ayant accepté de participer au projet et de partager des moments aussi intimes et forts de sens.

Trois mères natures qui nous façonnent

Chez les Machiguengas du Pérou, on prépare une boisson à base de manioc qui se nomme «masato» pour aider le lait maternel à être bon, sain et abondant.

Le baobab est un arbre sacré dans les communautés maliennes. Il occupe une place importante dans leurs mythes, leurs croyances et dans leurs rituels. Voici la recette d’une concoction pour favoriser la lactation: amidon cru du petit mil mélangé avec de la poudre de pain de singe, fruit du baobab.

Trois symboles

Pérou, le poisson: La rivière connecte les Matchiguengas au monde, elle est au cœur de leurs croyances mythologiques.

Canada, la feuille d’érable: Pour l’importance de cet arbre dans l’histoire et la tradition. Contrairement aux deux autres pays, il me semble que la nature revêt souvent un rôle plus esthétique que symbolique dans l’imaginaire canadien.

Mali, la termitière: Au Mali, le champ est un point d’ancrage. Traditionnellement, une femme enceinte entrant en travail loin de son lieu d’accouchement portera une termitière sur sa tête pour arriver en sécurité à destination.

Les soins prénataux

Au Mali comme au Pérou, les sages-femmes utilisent leurs mains pour régler la position du bébé et des plantes pour faciliter l’accouchement.

J’ai été étonnée d’apprendre qu’on utilisait certaines plantes supposées freiner la croissance du bébé (pour un accouchement plus en douceur). D’autres faciliteraient la sortie du placenta ou encore arrêteraient les hémorragies.

Une biologiste péruvienne étudie actuellement les vertus qui sont attribuées à ces plantes et, selon ses résultats préliminaires, la sagesse ancestrale de ces communautés pourrait être confirmée par la science occidentale.

Le savoir des sages-femmes

Chez les Machiguengas, les sage-femmes utilisent différentes plantes pour aider lors de la grossesse, de l’accouchement et du post-accouchement. Ces plantes importantes poussent loin des routes, des ordures et des poules. Appelées “ivenkikis”, elles sont cultivées comme on élèverait un enfant. C’est pour cette raison que très peu de femmes les partagent : pas parce qu’elles ne désirent pas s’entraider, mais parce que la plante n’aura pas le même effet si elle ne provient pas de la famille de son utilisatrice.

Au Mali, les sage-femmes utilisent également plusieurs plantes. Les feuilles de bambou en sont un exemple: utilisées au cours des derniers mois de la grossesse, elles aideraient à augmenter les contractions et à faciliter l’accouchement. On dit aussi que les substances qu’elles contiennent ont le pouvoir de réduire les saignements à la naissance de l’enfant.

Au Canada, les sage-femmes recommandent parfois une tisane de framboisier pour préparer l’utérus et le col à l’accouchement.

L’accouchement

Dans les communautés Machiguengas du Pérou, après avoir donné des plantes médicinales, la sage-femme attend l’arrivée du bébé sans s’immiscer dans le processus (sans regarder et sans toucher). Habituellement, c’est le mari qui soutient la mère lors de l’accouchement vertical, mais sans toucher le sang, car cela pourrait affecter sa chance à la chasse.

Au Mali, c’est traditionnellement la belle-mère qui assiste la sage-femme lors de l’accouchement.

Le privilège du choix

Que ce soit à l’hôpital ou à la maison de naissance, le couple canadien peut planifier la naissance de son enfant selon ses besoins particuliers, en bénéficiant toujours d’un environnement professionnel et sécuritaire.

Je pense qu’on peut se réjouir qu’au Canada, on recherche sans cesse de nouveaux moyens pour rendre l’expérience de l’accouchement plus respectueuse des besoins de la femme et des futurs parents.

Faire les courses!

À travers le monde, plusieurs tout-petits n’ont pas accès à de la nourriture variée.

Au Mali, la malnutrition est la cause directe ou indirecte d’au moins 50% des décès enregistrés chez les enfants de moins de 5 ans.

Au Pérou, la communauté Matchiguenga était originellement nomade et ses membres vivaient de la chasse, de la pêche et de la cueillette. Depuis le début du 20e siècle, la production du caoutchouc ainsi que l’exploitation forestière et gazière viennent bouleverser le système écologique de la région. La chasse et la pêche ayant presque disparu, le peuple s’est sédentarisé. À présent, les femmes et les enfants se nourrissent presque exclusivement de manioc, de bananes plantains et de produits transformés. L’accès à des aliments nutritifs et variés est donc limité et la malnutrition est un réel problème.

Des différences

Au Pérou, comme au Mali, on porte le bébé sur soi et on allaite partout, n’importe comment et toujours simplement. La controverse sur l’allaitement en public, qui refait régulièrement surface dans les médias occidentaux, n’aurait aucun sens dans ces deux pays.

Trois scènes du quotidien

Au Mali, les femmes habitent dans la famille de leurs maris. Les premiers jours se passent ainsi avec les belles-soeurs et les belles-mères. Ces dernières possèdent l’expérience, conseillent et aident à laver le bébé ou à s’occuper des saignements postnataux. Plusieurs femmes auraient préféré que leurs familles ne soient pas témoin de tout cela… et ces dernières non plus, selon les témoignages locaux. Il est difficile de voir souffrir ses proches.

Les jeux d’enfants

D’une culture à l’autre, les jeux des enfants sont supervisés ou non..!

Le confort pendant l’allaitement

Une Malienne récemment immigrée en Estrie a été étonnée d’entendre, lors d’un shower, une Québécoise conseiller à une jeune mère de mettre les pieds sur un petit tabouret lorsqu’elle donnerait le sein.

Elle expliquait que la position du bébé serait meilleure et que cela faciliterait la tétée. Le témoignage de la Malienne se poursuit ainsi : «J’ai reçu le même conseil quand j’étais au Mali! Certaines choses ne changent pas d’une culture à l’autre!»

Dans les communautés Machiguengas du Pérou, lors de ses premières menstruations, la jeune fille se rase les cheveux, est mise à l’écart et doit cacher ses cheveux jusqu’à ce qu’ils aient repoussés.

Il arrive souvent qu’elles tombent enceintes par la suite, pour permettre d’enchaîner rapidement de nouvelles grossesses (les femmes de la communauté donnent naissance à environ 5 enfants).

Au Mali, les femmes ont généralement entre 7 et 12 enfants.

Quelques croyances populaires

Chez les Machiguengas du Pérou, si une femme enceinte (ou son mari) mange des fruits ou des légumes doubles, comme par exemple deux bananes non séparées, on dit qu’elle aura des jumeaux. Cette communauté croit que le destin des enfants peut être déterminé lorsqu’ils sont dans le ventre de la mère. Les animaux, les plantes et la lune ont, selon eux, un effet sur le bébé.

Au Mali, si une femme enceinte mange des œufs, on dit que son enfant sera destiné à être un voleur.

Le dodo!

Chez les Machiguengas, la grand-mère est très impliquée dans les soins apportés aux jeunes enfants.

Au Canada, le père joue un rôle de plus en plus important au sein de sa famille.

Au Mali, les enfants et les parents pratiquent généralement le cododo jusqu’à 3 ans.

Le congé parental et le retour au travail après l’accouchement

Au Québec, on peut être fier de notre régime d’assurance-parentale!

Il permet au couple de prendre du temps pour accueillir le nouveau-né et pour s’acclimater à son nouveau rôle (ou son rôle redéfini) de parent.

Au Pérou, comme au Mali, le rôle de la fratrie s’apparente à la parentalité

La coutume veut, chez les Machiguengas comme au Mali, que les femmes enterrent le placenta après l’accouchement. Pour les Machiguengas, la position dans laquelle on le place sous terre déterminera le sexe du prochain bébé.

Au Mali, cela indiquerait si la femme aura, ou non, d’autres enfants.

Au Canada, j’ai demandé si je pouvais garder mon placenta après l’accouchement. L’infirmière m’a répondu avec un mélange de dégoût et d’incompréhension. À la maison de naissance, on me l’a présenté et donné pour ramener chez moi.

Les amulettes

Au Mali, on utilise des amulettes pour protéger l’enfant contre les sorciers et les mauvais sorts.

Chez les Machiguengas, on fait de même pour le protéger des esprits de la mort.

En tant que nouvelle maman, je comprends maintenant la crainte qu’on peut éprouver, à peu près tous les jours, devant la fragilité extraordinaire de son enfant.

Maternité juvénile

Au Pérou, chez les communautés Matchiguengas, le taux de maternité juvénile est très élevé.

Au Canada, la maternité est plus souvent planifiée – d’où tous les cours de yoga, de natation et de pilates pour femmes enceintes, les massages, les cours d’allaitement, les cours prénataux, les baby shower et tout le reste!

La planification familiale permet aux familles d’atteindre le nombre d’enfants souhaité et de contrôler l’espacement des naissances. Cette pratique est souvent peu utilisée chez les Maliennes et les Machiguengas, notamment pour des raisons culturelles et religieuses. Certains maris perçoivent l’utilisation de moyens contraceptifs comme une déviance ou comme un signe d’infidélité de la part de leur femme. Certaines femmes hésitent même à les utiliser par peur de devenir stériles ou de donner naissance à des jumeaux.

La douleur

Chez les Machiguengas, accoucher est traditionnellement considéré comme une preuve de courage. Les femmes ne doivent pas crier, car cela est perçu comme un signe de faiblesse.

Au Mali, certaines cultures croyaient que les femmes devaient accoucher en silence pour ne pas alerter les esprits. Cette coutume est désormais chose du passé et les femmes peuvent exprimer leur douleur librement.

D’une manière ou d’une autre, je trouve qu’une femme qui accouche de manière naturelle fait preuve de courage.

PRENEZ PART AU DIALOGUE!

Vous souhaitez participer à ce grand échange? Recevez l’exposition dans vos locaux, au travail, dans votre entreprise ou organisme! Une animation incluant une discussion autour de récits de naissance d’ici et d’ailleurs est également disponible gratuitement pour alimenter la réflexion de votre entourage, de vos collègues ou amis.

J’EXPOSE DANS MES LOCAUX!

Réalisé grâce à l’appui financier du Gouvernement du Canada accordé par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.