Un regard sur le quota de genre péruvien de la perspective d’une stagiaire canadienne

11 septembre 2019
par Katelynn Wynen

Au Pérou, un quota de genre a été mis en place pour assurer qu’un minimum de 30 % des candidat.es sur les listes électorales soient des femmes, ce qui a fait augmenter le nombre de femmes occupant des fonctions en politique.

En tant que stagiaire canadienne en participation politique et égalité des genres, l’adoption de ce quota de genre ici dans la province de la Convención m’intéresse beaucoup. La question que je me pose : est-ce que le quota de genre améliore véritablement la participation politique des femmes?

Le 6 mars 2019, quatorze regidoras, les conseillères des municipalités et des districts de la province de La Convención au Pérou, se sont rencontrées à Quillabamba pour la première fois depuis leur élection en octobre 2018. Le sujet de la réunion : l’égalité des genres et les problèmes de corruption dans la gouvernance locale. Comme stagiaire avec l’ONG péruvienne Ayni Desarrollo, j’étais vraiment chanceuse de pouvoir écouter leurs expériences comme femmes politiques péruviennes et leurs espoirs en regard de ce qu’elles vont réaliser durant leurs mandats. Au cours de mes trois derniers mois de stage au Pérou, je me suis aperçue que les obstacles auxquels les femmes péruviennes faisaient face en politique étaient vraiment similaires à ceux des femmes canadiennes.

Il y a plus de 60 ans, en 1956, les femmes péruviennes ont obtenu le droit de vote et ont pu se présenter aux élections générales pour la première fois. Cette année-là, plus de 500 000 femmes ont voté, tandis qu’une sénatrice et huit députées ont été élues pour la première fois.[1] Malgré ce progrès, le droit de vote pour les femmes ne représentait ni le suffrage universel, ni l’égalité politique véritable pour les femmes. Les femmes analphabètes n’ont pu voter qu’à partir de 1979[2] et, même aujourd’hui, il reste de nombreux obstacles pour les femmes qui veulent participer à la vie politique.

Au Pérou, la politique est traditionnellement considérée comme un domaine d’hommes, alors que les femmes sont responsables des espaces privés et du travail domestique.

Par conséquent, les femmes ont souvent plus de difficultés à financer leurs campagnes électorales et ont moins d’expérience. En général, elles ont besoin de plus d’encouragement pour se présenter aux élections.[3] C’est pourquoi différentes stratégies, comme les quotas de genre, ont été élaborées pour encourager leur participation.

Comment fonctionnent les quotas?

Bien que les femmes représentent la moitié de la population mondiale, elles sont très souvent sous-représentées dans les institutions politiques.[4] Un quota est un « pourcentage [ou une] proportion prédéfinie qui constitue le minimum limité ou réglementaire pour remplir un critère. »[5] Dans le contexte de la représentation politique des femmes, il impose généralement un pourcentage minimal de femmes représentées dans les institutions de l’État, que ce soit sur les listes de candidatures, au sein des assemblées parlementaires, des commissions ou du gouvernement.[6] Les quotas peuvent être fixés par les partis politiques de manière volontaire, inscrits dans une Constitution, ou définis par une loi électorale adoptée par le corps législatif d’un pays. C’est une manière d’assurer que l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, inscrits dans la Charte des Nations Unies[7] ainsi que dans la Constitution politique du Pérou,[8] est respectée par le gouvernement. Le quota de genre est également une forme d’action affirmative qui permet aux femmes de surmonter les obstacles qui freinent leur implication en politique et qui ne s’appliquent pas aux hommes.[9]

Onze pays d’Amérique latine ont adopté une loi pour encourager la participation politique des femmes à travers un quota de genre entre les années 1991 et 2000.[10] L’Argentine a été le premier pays d’Amérique latine à adopter une loi pour établir un quota exigeant qu’un minimum de 30 % des candidat.es électoraux soient des femmes. D’autres pays ont suivi en adoptant des quotas de 20 à 40 %,[11] inspirés par l’Argentine et par la Déclaration et le Programme d’Action de Beijing lors de la quatrième conférence mondiale sur les femmes en 1995.[12] Au Pérou, en 1997, le Congrès a approuvé la Ley Orgánica de Elecciones Nº 26859, qui a établi un quota de genre de 25 % sur les listes de candidat.es pour le Congrès.[13] En 2002, une autre loi (Ley de Reforma Constitucional Nº 27680) a établi un quota de 30 % de femmes au Congrès et dans les gouvernements régionaux et municipaux. Puis, en 2003, un quota de 30 % de femmes sur les listes de candidatures pour la direction des partis politiques a été établi (Ley de Partidos Políticos Nº 28094).[14] Même si ce quota est loin d’assurer la parité électorale, il a tout de même imposé une structure garantissant un seuil minimal de participation des femmes en politique péruvienne.

Le quota de genre du Pérou s’applique aux listes de candidatures, ce qui le différencie d’autres pays qui réservent un certain nombre de sièges pour les femmes, comme l’Ouganda ou l’Inde.[15] Aujourd’hui, les partis politiques péruviens doivent avoir un minimum de 30 % de femmes sur leurs listes de candidat.es pour les positions de Congresista, Parlamentarios (as) Andinos (as), Consejeros (as) Regionales et Regidores (as) Municipales.[16]  Lors des élections les plus récentes au Pérou, les listes de candidatures pour la fonction de regidore devaient inclure au moins 30 % d’hommes et de femmes, ainsi qu’au moins 20 % de jeunes âgé.es de 29 ou moins et 15 % de représentant.es de communautés autochtones originaires de la province correspondante (en vertu de la Ley de Elecciones Municipales N.° 26864).[17]

Les quotas sont-ils vraiment efficaces?

Un quota de genre sur les listes électorales ne se traduit toutefois pas nécessairement en gains électoraux pour les femmes. Par exemple, pendant les élections nationales de 2016, seulement 36 des 130 congresistas élu.es étaient des femmes, soit 28 % du total. Cela démontre que le quota de genre associé aux listes de candidatures n’est pas nécessairement garant du succès électoral, même s’il pourrait inspirer plus de femmes à se porter candidates.

Pendant mon stage, j’ai beaucoup appris sur la politique locale de la province de La Convención. En octobre 2018, lors des élections régionales et municipales au Pérou, de nombreuses femmes ont été élues pour représenter la province de La Convención grâce au quota de genre :

Actuellement, dans la province, 2 des 11 regidores provinciales (18 %) et 14 des 67 regidores distritales (21 %) sont des femmes. De plus, 5 des 21 consejeros regionales du département de Cuzco (24 %) sont des femmes, y compris les deux consejeros regionales pour la province de La Convención.[18]

Cela représente un progrès ; le fait qu’il y ait au moins une regidora dans chaque district est probablement lié au quota de genre sur les listes électorales. Cependant, il faut aussi noter que le pourcentage de femmes élues demeure en-deçà du quota de 30 %. De plus, il y a toujours moins de femmes dans les hautes fonctions; seulement 1 des 14 districts de La Convención a fait élire une alcalde, l’équivalent d’une mairesse. Grâce au quota de genre, la représentation politique des femmes dans la province s’est améliorée, mais ce qui n’est pas si clair, c’est si cela se traduit réellement en pouvoir politique pour les femmes péruviennes.

Selon mon expérience dans la ville de Quillabamba, les femmes qui sont élues comme regidoras deviennent fortement impliquées dans la communauté, surtout dans les causes sociales et d’égalité des genres. Comme stagiaires, nous avons pu développer de bonnes relations avec les deux regidoras provinciales de La Convención. Elles luttent activement contre la corruption et pour l’égalité des genres.

Et au Canada?

Au Pérou, comme au Canada, de grands obstacles à la participation politique des femmes demeurent, malgré un certain progrès électoral. Les deux pays sont étonnamment similaires en matière de participation politique des femmes :

Au Pérou, avec le quota de genre, 28 % des sièges au Congrès sont représentés par des femmes, tandis que 27 % des député.es canadien.nes sont des femmes.[19] Au Pérou, avant le quota de genre, il y avait beaucoup moins de femmes au Congrès (en 1995, il n’y en avait que 12 %).[20] Depuis mars 2019,[21] les deux pays ont maintenant un nombre égal d’hommes et de femmes dans leurs cabinets fédéraux (n’incluant pas le Premier ministre), mais les femmes ne détiennent pas nécessairement autant de pouvoir politique que les hommes. Comme l’a décrit Eliana Revollar, adjointe pour les droits de la femme de la Defensoría del Pueblo péruvienne, les femmes péruviennes sont souvent incluses sur les listes électorales sans nécessairement être candidates aux charges politiques les plus importantes.[22] Récemment, j’ai beaucoup réfléchi sur le fait que depuis l’élection provinciale en Alberta en avril 2019, il ne reste aucun premier ministre provincial au Canada qui soit une femme.

En conclusion, le quota de genre semble un outil efficace pour assurer qu’un minimum de femmes péruviennes soient élues ; néanmoins, cette stratégie est insuffisante pour atteindre une véritable égalité entre les hommes et les femmes en politique autant au Pérou qu’au Canada.

Mon stage a renforcé ma conviction que la participation politique des femmes apporte divers avantages à une communauté et à un pays, y compris le développement de projets qui améliorent les institutions locales et qui répondent mieux aux besoins des femmes. Cela étant dit, je comprends mieux les défis auxquels sont confrontées les femmes en politique, qu’il s’agisse d’un manque de ressources, un manque de soutien familial, ou même du harcèlement sexuel. Bien qu’un quota de genre ne soit pas une réponse complète à ces problèmes, c’est un instrument politique qui incite les femmes à se présenter aux élections.

Pendant que je termine mon travail ici sur le développement d’une école de leadership politique pour les femmes, j’espère pouvoir développer davantage ma compréhension de ces enjeux, tout en renforçant mes liens avec les femmes péruviennes impressionnantes qui s’engagent en politique. Après tout ce qui a été discuté pendant la réunion des femmes regidoras de la Convención, j’ai vraiment hâte de voir ce qu’elles feront pendant leurs prochaines réunions et à travers leurs mandats.

Katelynn Wynen
Conseillère en participation citoyenne et égalité de genre
Quillabamba, La Convención, Pérou
Le 24 avril 2019
 

[1] « Curso de Especialización en Igualdad de Género, Ciudadanía y Participación Política Módulo 3: Participación Política de las Mujeres, » Ministerio de la Mujer y Poblaciones Vulnerables, https://www.mimp.gob.pe/files/direcciones/dgignd/cursosformacion/curso_modulo3.pdf, p. 13.
[2] Mabel Valenzuela Narro, « El voto femenino en el Perú: 57 años del derecho de elegir un gobierno, » Radio Programas del Perú (RPP), 7 septembre 2012, https://rpp.pe/lima/actualidad/el-voto-femenino-en-el-peru-57-anos-del-derecho-de-elegir-un-gobierno-noticia-519584.
[3] « Curso de Especialización en Igualdad de Género, Ciudadanía y Participación Política Módulo 3: Participación Política de las Mujeres, » p. 19-20.
[4] Voir la proportion de sièges occupés par des femmes dans les parlements nationaux: « Proportion de sièges occupés par des femmes dans les parlements nationaux, » La Banque mondiale, https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SG.GEN.PARL.ZS?view=chart&year_high_desc=true.
[5] « Quota, » Linternaute Dictionnaire français, https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/quota/.
[6] Massan d’Almeida, « Pour promouvoir la participation politique des femmes, pourquoi certains pays optent-ils pour le quota ou la parité? » Genre en Action, http://www.genreenaction.net/Pour-promouvoir-la-participation-politique-des.html.
[7] « La Charte des Nations Unies Préambule : Nous, peuples des Nations Unies, » Nations unies,.26 juin 1945, https://www.un.org/fr/sections/un-charter/preamble/index.html.
[8] « Constitución Política del Perú, » Presidencia del Consejo de Ministros del Perú, 1993, http://www.pcm.gob.pe/wp-content/uploads/2013/09/Constitucion-Pol%C3%ADtica-del-Peru-1993.pdf.
[9]  Vous pouvez voir une description plus complète des avantages et désavantages des quotas de genre dans Massan d’Almeida, « Pour promouvoir la participation politique des femmes, pourquoi certains pays optent-ils pour le quota ou la parité? »
[10] « Curso de Especialización en Igualdad de Género, Ciudadanía y Participación Política Módulo 3: Participación Política de las Mujeres, » p. 45.
[11] Jaqueline Peschard, « Estudio de caso – El sistema de cuotas en América Latina. Panorama  general, » http://www4.congreso.gob.pe/I_organos/mujeres_parlamentarias2009/imagenes/Documentos-paridad-representacion/chapter_04a-CS-LatinAmerica.pdf, p. 175.
[12] Peschard, p. 175.
[13] « Curso de Especialización en Igualdad de Género, Ciudadanía y Participación Política Módulo 3: Participación Política de las Mujeres, » p. 47-48.
[14] Guiomar Vásquez, « Reflexiones sobre la Participación política de las mujeres, » Instituto de Estudios Sindicales, 8 septembre 2016, https://www.iesiperu.org.pe/index.php?option=com_content&view=article&id=410:participaci%C3%B3n-pol%C3%ADtica-de-mujeres&catid=105&Itemid=946.
[15] Massan d’Almeida.
[16] « Curso de Especialización en Igualdad de Género, Ciudadanía y Participación Política Módulo 3: Participación Política de las Mujeres, » p. 48.
[17] « Jurado Nacional de Elecciones Resolución N.° 0089-2018-JNE, » Jurado Nacional de Elecciones, 7 février 2018, https://portal.jne.gob.pe/portal_documentos/files/27249b7b-5236-4276-b27e-49a7d947b209.pdf, p. 1.
[18] « Plataforma Electoral: Elecciones Regionales y Municipales 2018, » Jurado Nacional de Elecciones, https://plataformaelectoral.jne.gob.pe/OrganizacionesPoliticas/AutoridadesProclamadas.
[19] « Proportion de sièges occupés par des femmes dans les parlements nationaux. »
[20] « Retos para la Participación Política de las Mujeres en el Perú, » Asociación Civil Transparencia, Décembre 2013, https://observaigualdad.jne.gob.pe/pdfs/recursos/Retos_para_la_participacion_politica_de_las_mujeres_Transparencia.pdf, p. 8.
[21] « Gabinete ministerial paritario. » El Peruano. 14 mars 2019. https://elperuano.pe/noticia-gabinete-ministerial-paritario-76559.aspx.
[22] Fernando Alayo Orbegozo, « Elecciones 2018: al menos 19 mujeres han sido elegidas alcaldesas en el país, » El Comercio, 10 octobre 2018, https://elcomercio.pe/peru/elecciones-2018-diez-mujeres-han-sido-elegidas-alcaldesas-pais-noticia-565849.