Alice au pays du Pérou et son lapin blanc

4 septembre 2019
par Gabrielle Lebron-Paradis

Avez-vous déjà remarqué l’espace que prend le temps dans votre quotidien? Combien de fois avez-vous dit « Je dois partir à 7h00 tapant, autrement je serai en retard », ou bien « Tu devrais faire les choses de telle manière, tu gagnerais du temps ». Gagner/perdre du temps. Capitaliser le temps. J’imagine ne pas être la seule à avoir eu cette impression de me battre contre le temps ;

qui va gagner et qui va perdre? Je m’avance sur le ring et la nervosité s’empare de moi. Mon adversaire détient l’expérience d’une éternité, alors que la mienne se compte en années. Toutes ces années d’entraînement et de planification vont-elles valoir le coup cette fois-ci?  Je repasse mes défaites et mes victoires dans ma tête, cherchant ce que je pourrais améliorer, ce que je pourrais réutiliser. Peut-être ce raccourci, ou bien me lever plus tôt, et encore… Jusqu’au moment où je suis arrivée au Pérou.

Bizarrement, l’une des premières choses qui m’a frappée du quartier de Collique, c’est la lenteur à laquelle les personnes marchent. Bon c’est vrai, je mesure environ neuf pouces de plus que la plupart des habitantes et habitants de Collique qui m’entourent, mais même les personnes de ma taille marchent trèèès lentement. J’ai passé les premières semaines à me fâcher intérieurement : « Voyons, je n’ai pas toute la journée! », « Vite, je vais arriver en retard! » et « Je vais passer par ce chemin pour les contourner ». J’étais Alice et je courais après le lapin blanc. J’arrivais pourtant parmi les premières, avec mes collègues canadiennes, bien avant mes collègues péruviennes. Peu à peu, une constatation s’est imposée. Toute cette énergie et tout ce temps consacrés à passer de l’état de stress à la frustration, puis au découragement n’avaient plus de sens pour moi. J’étais fatiguée d’être en compétition avec ce mammifère blanc aux grandes oreilles, comme si la course était plus importante que tout le reste, comme si le point d’arrivée valait plus la peine que tout le chemin traversé. Je réalisais que je vivais désormais dans un autre « espace-temps » : celui de Collique.

J’ai commencé à ralentir mon rythme de marche, à remarquer les imposantes et solennelles montagnes autour de moi, à comprendre la chorégraphie raffinée des voitures et des mototaxis, à profiter d’un churro au stand du coin. J’ai commencé à ralentir mon rythme de vie. À prendre le temps de terminer les conversations du déjeuner, à prendre des pauses-café, à respirer. Le plus drôle dans tout ça, c’est qu’après vérification, je n’arrive pas vraiment plus tard au travail ou à la maison, environ 5 à 10 minutes de plus, maximum. Mais j’y arrive plus posée, plus heureuse et sans les 45 hamsters qui courent partout dans ma tête.

C’est ironique à quel point une action qui est censée être efficace (se préoccuper du temps pour arriver à l’heure et être productive) peut provoquer l’effet inverse (arriver en retard et stressée, donc non productive).

Cependant, je ne pourrais pas dire que ce rythme de vie s’applique à toutes les Péruviennes et à tous les Péruviens. Il ne suffit que de prendre une seule fois le Metropolitano (qui est un bus/métro de Lima, la capitale du Pérou) pour le constater. Le Metropolitano respire le stress. Peut-être est-ce tout simplement la différence entre la ville et la « banlieue ». Ayant grandi également dans une ville, celle de Québec, je ne pourrais pas dire si cette différence ville/banlieue (Lima/Collique) s’applique également au Québec ou même au reste du Canada. Quoi qu’il en soit, vivre à Collique m’a certainement ouvert les yeux.

L’objectif n’est pas d’être productive, ni d’éviter de se soucier du temps. L’objectif est de valoriser les contacts humains, de mettre la vie au-dessus de tout, avec tous ses imprévus et ses désagréments. Parce qu’à mon avis, la vie n’est pas faite à partir du temps, mais à partir des échanges humains et des expériences que nous vivons.

Ce que je pourrais vous dire de mon stage professionnel avec le Carrefour de solidarité internationale et Ayni Desarrollo? Que c’est une expérience qui me marquera à jamais et que les échanges que j’ai entretenus avec les personnes que j’ai rencontrées m’ont transformée. J’ai pu vivre pleinement la routine de Collique et créer des liens uniques. Tout cela, je le dois à mon nouveau copain, Monsieur Lapin.

Gabrielle Lebron-Paradis, stagiaire du Carrefour de solidarité internationale


Le programme de stages professionnels pour les jeunes est rendu possible grâce au soutien du Gouvernement du Canada.

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