Maia Houle-Cuillerier – Stage Mali 2015

11 novembre 2016
par Maia Houle-Cuillerier

Les semaines s’enchaînaient à un rythme essoufflant alors que les journées passées au village semblaient durer une éternité.

Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, jour du marché à Somo, samedi, ouf, et enfin ce doux dimanche.

Dès 4h, comme à chaque matin, les pulsations de l’Afrique bercent nos cerveaux encore comateux. Comme à chaque matin, les chants des pigeons, des perruches et des coqs s’accordent avec le grincement des poulies à puits.

Ce matin-là, mes petits cocos et mes petites cocottes m’observent dormir au travers de mon filet.

-Mariamou, snogoro ?! les entendais-je murmurer.

J’ouvre un œil inquisiteur pour apercevoir leurs petites binettes déjà pleines d’énergie. Ma montre m’indique qu’il est 6h, l’heure d’aller rejoindre Baba Samaké et Mariam Djara au jardin.

Les deux femmes me saluent chaleureusement en me voyant arriver.

-Ini sogoma !

-Unce! Ini sogoma!

-Ere sira?

-Ere!

-Somogo ka kene ?

-Torosité!

C’est avec grand plaisir que je les aide à faire des allers-retours du puits jusqu’à leur parcelle du jardin où pousse des petits piments, des papayes, de la menthe et de la salade. Il fait bon être dans cette petite parcelle vert tendre où règne la fraîcheur matinale. Au loin, le soleil entreprend son ascension dans le ciel. Je sors mon appareil photo et les deux femmes pouffent de rire.

-N’as-tu pas remarqué qu’il y est tous les matins? Semblent-elles penser.

Je leur montre le cliché et soudain, leurs taquineries se transforment en émerveillement. Je baragouine quelques mots afin de leur demander si je pouvais bien les prendre en photos:

-Ne be ta photo ta wa?

Elles acquiessent.

Je ne sais pas si c’est parce qu’elles aperçoivent leur beauté ou simplement parce qu’elles ne sont pas habituées de se voir, mais leurs exclamations face à leur portrait m’émeuvent.

Il fait bon être dans cette petite parcelle vert tendre où règne la fraîcheur matinale.

Après quelques seaux versés sur leurs futures récoltes, elles s’accordent pour me dire d’aller à la base. J’ai, selon elles, assez travaillé.

-Aï ta dagayorola ka duminike!

En refermant la clôture du jardin, j’aperçois mes petites chéries, Amy et Ma venant me chercher pour m’escorter à la base. Sa petite main dans la mienne, Ma lève les yeux vers moi et se lance dans une grande conversation. Je fais mon possible pour comprendre mais Amy, lisant l’incompréhension dans mes yeux, intervient. Elle parle de la maison familiale. D’accord, allons-y!

Arrivées, j’entends Ba, Sidi et Baba s’exclamer.

-Mariamou nana! Mariamou nana!

Je suis invité à manger du mouni chez la femme de mon père, Mariama Sacko.

Les plus jeunes femmes, Batoma et sa sœur, préparent le déjeuner dans la petite cuisine en banco d’où sort une dense fumée noire. Une fois la bouillie de céréales cuite, elles l’apportent à Mariama pour que celle-ci l’aère. À l’aide de sa grande louche de plastique mauve, elle fait couler le gruau dans les airs. Voyant que je vais en manger un peu, elle s’éclipse dans sa maison un instant et en ressort avec un lait/yogourt de chèvre qu’elle verse dans un petit bol à part, ce sera mon bol.

Elle prend le plus gros des bols ainsi que quelques louches colorées et part servir Issa, mon père, et ses fils. Elle m’apporte ensuite ma portion.

Les enfants s’installent autour de moi sur de petits bancs en bois, excités de recevoir leur portion à leur tour.

Je retiens mon appétit sachant que chaque bouchée supplémentaire prive mes petites sœurs et mes petits frères de nutriments.

Paf! Une réalisation du moment présent me frappe de plein fouet! Wow, j’y suis, je suis au Mali, dans une famille formidable, quelle chance!

Genebou arrive avec son magnifique sourire.

-I ni sogoma!

-Unce! I ni sogoma!

-Ere sira?

-Ere!

-Toubabou ka kene?

-Torositula!

-Naya, aw beta so!

C’est alors, après avoir remercié Mariama, que Genebou m’amène chez elle.

La vieille brebis beugle toutes ses tripes pour signaler notre arrivée. Bahini, la fille de Genebou, m’observe de ses grands yeux, ne sachant pas trop encore si je suis un potentiel danger pour elle ou si, enfin, elle peut m’approcher. Genebou nous fait un thé Lipton. Elle me fait un clin d’œil et ajoute plus de sucre et un peu de lait en poudre. C’est dimanche après tout!

Bien assises, elle et moi, on jase. Oui, oui, on jase! On s’entend si bien qu’on réussit même à se faire des blagues et à rire de bon cœur.

8h. Bipbip, ma montre lance un petit cri. Il est temps d’aller rejoindre les toubabous.

C’est alors que mes petites sœurs et mes petits frères arrivent pour m’accompagner à la base.

À la base, nous apercevons Ballo au loin sur sa moto, qui arrive avec du bon pain frais. Quel animateur terrain en or! C’est gentil mais non merci, aujourd’hui c’est une journée entièrement famille. Je passe mon tour pour le déjeuner. Bon matin groupe, bye groupe.

Paf! Une réalisation du moment présent me frappe de plein fouet! Wow, j’y suis, je suis au Mali, dans une famille formidable, quelle chance!

En retournant vers la maison familiale, j’aperçois Mama avec ses deux belles filles puiser de l’eau au puits. Elles chantent. Je leur lance un énorme sourire auquel elles répondent puis je continue mon chemin.

De retour chez Genebou, elle m’accueille d’un regard inquisiteur:

-Es-tu certaine d’avoir bien mangé?

-A kayn! Bi, somogo. Dagayorola abana!

Bon, le bambara est encore rudimentaire, mais on se comprend.

Satisfaite de ma réponse, elle m’installe une chaise sous un grand arbre dans la cours. Ba part puiser de l’eau et m’apporte du savon.

Hop, un petit lavage de pied!

Aujourd’hui, j’aurai l’honneur de me faire faire un henné sur le pied.

Une fois les pieds bien propres, Ba et moi puisons de l’eau pour aller arroser le «blo», une pièce réservée aux femmes. Le matin, elles y pilent le millet et autres céréales et, l’après midi, elles y boivent le thé et jasent.

Une fois la pièce humide et fraîche, nous nous installons sur des dèbes, un tapis fait de plastique tissé. Genebou prépare les languettes de ruban adhésif puis réclame mon pied et se met à l’œuvre, Ses petits doigts me chatouillent, mais je ne suis pas certaine d’être celle qui rit le plus puisqu’elle éclate de rire à chacun de mes frétillements.

L’après-midi avance, les femmes se font de plus en plus nombreuses, tout comme les degrés dans l’air. Des doigts se glissent dans mes cheveux et défont ma couette.

Éh Allah! Je comprends alors que mon tour est venu de me faire tresser la tête.

Assise une jambe en l’air pour appliquer le Jabbi et la moitié des cheveux tirés par derrière, j’entends des bébés pleurer, d’autres rire et des enfants jouer.

On jase de toute sorte de sujets, mais celui du mariage revient souvent. À chaque fois qu’elles me demandent si je me marierai je dis non et, à chaque fois, elles éclatent de rire, ne sachant probablement pas quelle autre réaction avoir.

Les conversations s’enchaînent, je ne les suis pas toutes, mais je suis là, je fais partie d’elles. Je les observe et suis subjuguée. Elles ne cessent de travailler, elles ne cessent d’enfanter et, pourtant, elles ne cessent de sourire. Béate d’admiration face à leur force, une grosse boule d’amour m’emplit la poitrine.

J’adore les dimanches!

Merci à ces merveilleux êtres pour leur générosité et leur amour.  Je vous en serai éternellement reconnaissante.